La fête est gâchée, l’insouciance effondrée. L’humour comme propre des humains, le droit à la parole, la liberté de penser sont devenus les cibles des groupes sectaires assoiffés de sang : tais-toi Charlie ou meurs. La cible est plus large : s’ajoutent les juifs, les policiers, et finalement tout ce qui n’est pas formaté intégriste. Cet islam n’est pourtant pas l’islam tout comme ce blasphème n’est pas même un blasphème. Il y a des murs d’incompréhension quant au partage entre sacré et profane. Notre innocence elle-même se révèle être un leurre : la République a failli, le « vivre-ensemble » a été traité avec désinvolture. Que faire maintenant après l’incomparable moment fusionnel du 11 ? L’article qui suit ne répond pas à cette question, il a été écrit à chaud entre le 7 et le 9 janvier.
7 janvier 2015, 11 heures 30, 10 rue Nicolas Appert, Paris, 11ème arrondissement, conférence de rédaction au siège de Charlie Hebdo, un acte de guerre perpétré à la kalachnikov contre des dessinateurs armés de crayons, balles contre bulles : 12 morts dont 8 membres du journal. 11 blessés dont 4 gravement atteints.
Sidération, colère, révolte, solidarité sont les premières réactions – et fermement, le refus de la soumission à la terreur, fermement aussi le refus de la confusion et de l’amalgame dans laquelle les assassins veulent nous entraîner.
Cette barbarie vise la République et l’un de ses piliers, la liberté de presse. Une liberté dont le versant satirique est inséparable, un versant satirique qui inclut la caricature, l’impertinence, la dérision. Une dérision qui, dans le cas de Charlie, est un appel à l’intelligence. Il n’y a pas à chipoter, c’est notre liberté à tous qui est attaquée : la liberté d’expression ne se négocie pas.
Blasphème, disent-ils ? Le blasphème a perdu son caractère de délit en France depuis 1789 ! Quel blasphème d’ailleurs ? Représenter le Prophète se voilant la face et proclamant : « C’est dur d’être aimé par des cons » comme le faisait Cabu en 2006 ? Le sous titre de Charlie hebdo était alors pourtant clair : « Mahomet débordé par les intégristes. » Cette caricature n’est pas une caricature.
Les djihadistes d’Al-Qaida, de Daesch, de Boko Haram tuent indistinctement, violent, esclavagisent avec une progression dans l’horreur. Leurs premières victimes et les plus nombreuses sont des musulmans : il faut le redire.
Il faut rappeler aussi que, dans les dernières décennies, en divers lieux, d’autres horreurs ont eu lieu : crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides, en Europe même, dans l’ex-Yougoslavie, plus loin en Tchétchénie, en Afrique également: au Rwanda, au Congo, et ailleurs encore. Guantanamo n’est toujours pas fermé. Il y a Gaza. Ces faits, souvent occultés, ne sont pas le fait d’islamistes. L’indignation ne doit pas être sélective.
Les musulmans sont interpellés par ces nouveaux barbares. « Pas en mon nom » est devenu trop court. Quel croyant dira à ces enfants dévoyés du Coran, qu’ils sont mus non par Allah mais par Satan, qu’ils iront non pas au Paradis, mais directement en Enfer ? Qui dira que ce sont eux les blasphémateurs qui prétendent dicter à Dieu la délivrance d’un permis de tuer ? Qui proclamera à nouveau que le verset 2:256 du Coran: « Il n’y a pas de contrainte en religion » est un verset non « abrogeable » à valeur universelle ? Ce pourrait même être un des mots d’ordre de notre République, une République laïque, bien sûr, où chaque musulman a sa place, comme tout autre citoyen.
Morts de rire. Il faut nommer précisément tous ces martyrs de la liberté de presse, ces hommes courageux et généreux, étrangers à la haine et au racisme – et capables d’auto-dérision : huit membres de l’équipe du journal, dont cinq dessinateurs, Jean Cabut, dit Cabu, Stéphane Charbonnier, dit Charb, Bernard Verlhac, alias Tignous, Wolinski, le doyen, Philippe Honoré, ainsi que Mustapha Ourad, correcteur, Bernard Maris alias Oncle Bernard, chroniqueur, Elsa Cayat, chroniqueuse, à qui s’ajoutent un invité de la conférence de rédaction, Michel Renaud, fondateur du festival Rendez-vous du carnet de Voyage, un agent de maintenance, Frédéric Boisseau et deux policiers, Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet: une image de la diversité française.
J’en ai croisé certains, je connais quelques uns de leurs proches et je suis endeuillé avec eux.
Aidons Charlie à continuer de vivre.
Pas seulement Charlie, mais la liberté, la liberté de débattre sans pour autant s’entretuer.
9 janvier. Cinq exécutions de plus: une policière municipale, quatre otages juifs dans une supérette casher. Et les forcenés abattus. Ce n’est plus le terrorisme aveugle des bombes dans les lieux publics, ce n’est pas une guerre constituée, c’est le premier acte d’une nouvelle guérilla-spectaculaire et barbare qui vise des symboles identifiés, attaque la liberté d’expression, l’égalité de tous dans la diversité, l’Etat de droit dans ses policiers et bien sûr la fraternité. Ces assassins paranoïaques et manipulés sont enfermés dans la pulsion de mort. Nous sommes du côté de la vie. Avec Charlie.
N.B. Je suis Charlie et aussi bien Je ne suis pas Charlie. Je suis Charlie proclame la liberté d’expression, Je ne suis pas Charlie renvoie à l’adhésion à un contenu. Je suis POUR la liberté d’expression, peu importe que je sois POUR ou CONTRE (et en l’occurrence je suis POUR bien plus souvent que CONTRE) le contenu d’un article ou d’un dessin de Charlie. C’est donc parce que Je suis Charlie, qu’en même temps Je ne suis pas Charlie. Aussi bien donc, tout autre titre de presse menacé par un ennemi de la liberté d’expression pourra venir en place de Charlie. On pense à la déclaration apocryphe de Voltaire : « Bien que je ne sois pas d’accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous puissiez le dire. »
– Reste en suspens la question des limites de la liberté d’expression.
Envoyé le 08/01/2015 à 19 h 48 min
Et si les français manifestaient nombreux dans les jours à venir ….les français chrétiens, les français juifs, les français musulmans, eux aussi victimes…. et si, une fois l’émotion retombée, la mémoire restait aigüe…..et si, au lieu de diviser et de semer la haine, cet acte abject incitait à la solidarité…. alors ces douze morts n’auraient pas été totalement inutiles …. on peut rêver…
Envoyé le 14/01/2015 à 23 h 02 min
j’apprécie le profond humanisme et la lucidité de vos textes. ce n’est la première fois que je vous écris.
je pense d’abord aux victimes… vous avez cotoyé et apprécié ces hommes et ces femmes…
silence….
mais…
attention je ne dis pas « qui sème le vent récolte la tempête » et ne transforme pas les terroristes en résistants d’une grande cause !
mais…
cependant et calmement réfléchissons ensemble si vous le voulez bien sur quelques culpabilités pas bonnes à dire et difficiles à entendre
(…)
encore une fois ces fanatiques viennent de nos banlieues, ne sont pas des animaux et sont aussi des « produits » de notre société
ces professionnels violents rient bien de nos modes de vie capitalistes et libéraux dont les pantins politiques s’unissent pour nous vanter la sécurité et le pouvoir d’achat en guise d’idéologie.
bien des états pratiquent un terrorisme officieux
en irak comme en ukraine, nos amis u.s qui se disent défenseur des libertés laissent des mercenaires meurtriers tels ceux de l’entreprise Blackwater faire « le boulot »
alors si vous me le permettez encore, quelques constats:
médiapart en a fait beaucoup plus que charlie hebdo ces dernières années pour la liberté d’expression
la france , ses médias, ses journalistes ses caricaturistes ne sont pas les meilleurs ni le centre du monde et de la liberté
le 11 septembre à la francaise risque bien d’avoir lieu pour le pire
le racisme et l’antisémitisme vont progresser avec la faiblesse de notre démocratie
le monde arabe comme le notre s’enfonce dans l’idéologie capitaliste peu libérale et surement pas libertaire
l’extreme droite se renforce en france et en israel (je ne dis pas le monde juif), et dans tout le monde arabe (je ne dis pas le monde musulman)
j’adore ce qu’ a été Charlie jusqu’ à la fin du xxeme siecle
je suis triste et rends hommage à toutes les victimes et pas aux terroristes kamikazes morts victimes de leur violence et de leur fanatisme (ce ne sont pas des animaux néanmoins)
désolé je ne suis pas CHARLIE tel qu’il sera dorénavant quasi obligatoire de l’être
ce que j’écris là sera bientot censurable si cela n’a pas commencé